Les glorieux
L’Ange, pour nous, c’est le soir, descendu sur la piste éblouissante.
Que ta solitude, paradoxalement, soit en pleine lumière,
et l’obscurité composée de milliers d’yeux qui te jugent,
qui redoutent et espèrent ta chute, peu importe :
tu danseras sur et dans une solitude désertique,
les yeux bandés, si tu le peux, les paupières agrafées.
Mais rien - ni surtout les applaudissements ou les rires -
n’empêchera que tu ne danses pour ton image.
Tu es un artiste –hélas – tu ne peux plus te refuser
le précipice monstrueux de tes yeux. Narcisse danse ?
Mais c’est d’autre chose que de coquetterie,
d’égoïsme et d’amour de soi qu’il s’agit.
Si c’était de la Mort elle-même ? Danse donc seul.
Pâle, livide, anxieux de plaire ou de déplaire à ton image :
or, c’est ton image qui va danser pour toi.
Jean Genet, Le funambule