Quelque chose comme une araignée  



« La manière dont nous traitons nos fous est symptomatique de la folie de notre société. »
Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique

L’institution psychiatrique est encore un lieu à part, stigmatisé et stigmatisant. Outre sa mission thérapeutique, elle a aussi pour fonction tacite d’exclure les personnes hospitalisées de nos sociétés, de les contenir dans un espace à l’abri de nos regards. De l’extérieur, elle cristallise des peurs inarticulées ; à l’intérieur, s’y manifeste de façon exacerbée les dysfonctionnements et les névroses de notre société. Prises entre ces filets, les personnes souffrant de troubles psychiques sont soumises à des traitements aberrants produit par le système institutionnel et à des regards violents, chargés de fantasmes, les nôtres. Ce travail, cherche à déconstruire le regard que nous portons sur elles, à mettre à jour les processus d’aliénation et de stigmatisation à l’œuvre dans nos sociétés.

Pour photographier aujourd’hui en psychiatrie, il faut renoncer aux visages. Les patient·es ne doivent pas être reconnu·es, la folie est toujours une honte. Il faut donc baisser les yeux et sonder les corps, les postures, les gestes, chercher d’autres manifestations des affects.

Les corps que j’ai observés sont des corps contraints, soumis à des règles et à un contrôle quasi permanent. Ils se tordent, se camouflent, se figent, s’absentent, tentant de s’extraire de ce cadre. Tandis que le regard clinique interprète ces conduites comme autant de symptômes, j’y vois d’abord des formes de réactions et de résistances à ce milieu qui les ostracise.

Au-delà de ces interprétations situées, mes images, lorsqu’elles s’exposent, rencontrent les projections collectives et individuelles qui façonnent nos visions de la folie et qui saturent de signes ces corps indéchiffrables. Leurs formes, métamorphosées par nos imaginaires deviennent informes, dévoilant les impensés de nos représentations de la folie.

Pour déconstruire ces représentations, ce travail est constitué, en contrepoint à mes photographies, d’enregistrements de paroles de patient·es qui les commentent*. Je tenais à ce que ces dernier·es interviennent dans ce travail, que mes images soient déchiffrées par leur regard. Ces voix ont deux fonctions : elles contrent, d’une part, le processus de déshumanisation à l’œuvre dans la contrainte de l’anonymisation ; et d’autre part, elles font entendre des interprétations singulières qui s’immiscent dans nos imaginaires, les ouvrant à leur vécu et à leur sensibilité et, se faisant, interrogent nos propres interprétations.

Ce travail a été réalisé de 2022 à 2024 dans une unité de l’Hôpital Esquirol de Saint-Maurice (94), dans plusieurs unités du Centre Hospitalier de Montperrin à Aix-en-Provence (13), au Centre Psychiatrique de Kenia à Ziguinchor et au Centre Xeral Well de Tobor.

*travail en cours